Coup-de-coeur de David MARSAC pour De l’image de Laurent ALBARRACIN
DISSONANCES #26
Qui veut faire l’angle fait le coin, et bientôt le canard. C’est pourquoi le couac de la langue définit au mieux l’image poétique. Le réel naît qu’une fois. Il hait de se répéter et ne saurait être le réel que sans double. Le lecteur ne se baigne jamais dans le même réel. Amateur de Clément Rosset, Laurent Albarracin a saisi la puissance de la tautologie qui répète la langue pour faire exister la chose dans la réduplication de la langue. « Un poisson est un poisson dans la langue ». Le monde n’existe en poésie qu’en tirant de soi la ressource d’être soi. Le réel laisse ainsi la trace du réel dans la répétition des mots. Il n’existe qu’en se désignant et se désigne en se répétant. La rose est la vérité du réel dans le réel, mais une idiotie dans la langue. Car dans la langue, a rose is a rose is a rose. « La chose n’est que l’élan vers l’élan qu’elle est ». L’image poétique, tautologique par nécessité, dit l’évidence d’une chose par sa fuite dans l’évidence. La grande beauté de ce livre de Laurent Albarracin, de tous les livres de ce poète rare dans une génération vouée comme nonne à Dieu au réalisme d’une poésie émotive, est de faire de cette réflexion sur l’image et la tautologie un livre perpendiculaire à son objet : « Le livre est aussi, à ce qu’il est, ce qu’il est ». L’image y est battue et débattue par l’image, le langage interrogé par le langage, l’idée par la nacelle de l’idée qui vous enlève par les aisselles et vous soulève de la page à laquelle vous êtes inexorablement rivé(e).
éd. de l’Attente, 2007
52 pages
6,50 euros