Coup-de-coeur de Sophie WESTENDORP pour Vingt-sixième étage d’Alain BRON
DISSONANCES #26
« La morale sociale n’avait plus qu’un lointain rapport avec le management moderne d’une entreprise. Ne pas appliquer les règles du libéralisme et on s’excluait du jeu soi-même. Ne pas être au top de la profitabilité et les concurrents en meute vous désossaient sur place. » Une tour de La Défense, une société du tertiaire, des salariés sous pression. Et quelques semaines qui vont faire passer une entreprise prospère de son apogée à sa chute, sur fond de maximisation des profits. Pour faire monter le cours en Bourse de leur société, les dirigeants décident de lancer une vaste opération de réduction des coûts qui va rapidement déstabiliser tous les échelons de la hiérarchie et faire s’écrouler la pyramide. C’est toute la mécanique infantilisante et destructrice du management qui est passée au crible : la montée dans la hiérarchie qui ne fait qu’accroître la peur de redescendre, les entretiens individuels ubuesques, l’impuissance des salariés face aux ordres iniques venus d’en haut. La fin est annoncée dès le prologue par l’un des personnages centraux du livre, un salarié aveugle, embauché pour améliorer le quota de handicapés dans l’entreprise. C’est autour de cette figure de l’aveugle clairvoyant, sorte de Tirésias moderne, que l’auteur bâtit sa trame telle une tragédie grecque classique où les tentatives des héros pour empêcher la chute ne font que l’accélérer. Référence qui prend tout son sens si l’on se rappelle que c’était toujours l’Hybris – l’orgueil démesuré des hommes, leur soif d’avoir plus que leur part – qui finissait par causer leur perte.
éd. In Octavo, 2013
336 pages
21 euros