Coup-de-coeur de Tristan FELIX pour Le voyage d’Orsantone de Paul DALMAS-ALFONSI
DISSONANCES #26
Alfonsi réinvente onze contes corses. Sa parole elliptique et tendue compte sequins, vœux ou syntagmes par hexasyllabes, heptasyllabes, octosyllabes : « En le voyant venir à lui, le Diable dit d’un air moqueur : — J’aperçois un garçon qui a de la cervelle. Il sait qu’il est à moi et il vient se livrer sans même rechigner. Une petite poule, un vrai poussin mouillé. J’aperçois un garçon qui est très avisé. » Puis, soupir, la scansion se relâche. Pour charmer les fada, temps et contretemps : capturer, lâcher, tourner en bourrique. Le conte a sa logique interne qui vous digère et régurgite. « J’ai appris qu’il s’agissait de son frère, de son unique frère, mais il était trop tard. De rage, je l’avais déjà tué. Elle mange désormais dans le fond de son crâne. Et cette drôle de cuiller m’a servi à lui ôter les yeux, à elle. Elle devait m’avertir de la venue d’un homme. » Ponctués par une invitation à dire le sien : « Fola fuletta/Mettiti in calzetta/Dite la vostra/Chì la meia hè detta », ces contes transgressent la fatalité. Compter, conter, renouer avec le chiffre talisman où s’origine toute écriture, pour sceller en lui un contre-pouvoir, pour que toujours l’innocent retourne les mauvaises cartes à son avantage, tandis que le conteur, d’une pichenette ou d’une naïveté feinte, renvoie le drame à son inanité : « J’en avais assez d’être morte ; le fait d’appartenir à une famille de fées nous donne quelques privilèges. » Une telle parole répare, empêche de mourir. Renversements magiques et humour propitiatoire réenchantent la condition humaine, ouvrant son insularité sur la mer des possibles. Bon voyage.
éd. Elytis, 2013
143 pages
10 euros