Coup-de-cœur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour Billets d’où de Laurence VIELLE
DISSONANCES #46
Billets d’où, billets doux. Et il en faut de la tendresse pour écrire comme ça, dans l’attention si précise de la poésie aux multiples provenances de Laurence Vielle.
Dès le titre, les mots chuchotent, s’interpellent – turbulents, sarcastiques – et tout le temps jactent, se marrent, ne s’en laissent pas conter : « Tu me demandes qui je suis ? […] arrête de dire qui je suis arrête de faire de moi ce que tu crois que je suis […] je suis fille en toutes les filles qui vont venir après et en fille je suis tous les garçons que je ne suis pas ». Un abécédaire joueur, mal élevé et pas sage, en témoigne, filant d’ « Aboyeur / acclamateur / accordeuse vocal » à « dialogueur / dicteur / dikkenek » vers « répondeur téléphonique » et « vrilleuse de vocables » jusqu’au final « amoureuse des mots », chute sans z protocolaire, comme pour mieux se relancer.
Car des passages, Laurence Vielle ne fait que ça, en ouvrir. Elle est tenace et têtue, saxifrage grignoteuse d’un béton très composite (plastique, écrans, vitesse stupide, indifférences assoiffées…) et mortifère, et étouffant : « mur de ronces mur de ruine mur de débâcle / mur des trahisons murs des disparitions […] / mur ô mur / je te fragile je te démembre je te charpie te rogne et te cogne je te ronge mur ».
L’air court dans le livre, la parole l’irrigue, l’innerve. Le texte bruisse du souffle qui l’a cherché, accueilli, ourlé. Jeux de répétitions, avec ou sans ponctuation : le phrasé se glisse dans les esgourdes, gonfle les poumons, met la langue en branle. Myriade d’histoires, fragiles et nécessaires. On lit, relit et redit. Et les feuillets s’envolent.
éd. Le Castor astral, 2023
208 pages
9 €