Coup-de-coeur de Laurent ALBARRACIN pour Un printemps à Hongo d’Ishikawa TAKUBOKU
DISSONANCES #40
Le journal de Takuboku constitue un complément utile à la lecture des tankas du poète japonais disponibles en traduction chez le même éditeur. Le journal est rédigé en caractères latins dans le but d’échapper aux conventions littéraires de son époque autant qu’aux regards indiscrets. Il est pour l’auteur l’occasion de se livrer entièrement et de se mettre à nu sans ménagement, de s’observer dans la cruauté et la trivialité des jours. Avec une lucidité qui frise parfois la complaisance tant les lamentations du poète tendent à l’autodénigrement systématique : « J’aimerais vivre comme un paysan, en ne sachant rien. J’ai été trop malin. » Pauvre, accablé de soucis et de dettes (il vit de façon précaire dans une chambre louée et un emploi de correcteur dans un journal ne lui permet pas de remédier à l’éloignement de sa femme et de sa fille), il s’adonne à nombre de passions plus ou moins tristes : errance dans Tokyo, alcool, rapports avec des prostituées qui sont parfois sombres et parfois heureux. De temps en temps quelque trouée lumineuse – telle la traditionnelle visite aux cerisiers en fleurs – vient éclairer un ciel perpétuellement morose. Mais l’intérêt du livre est surtout dans le ton étrangement souffrant et détaché tout à la fois qui émane de ses pages. Le pathétique même de sa vie, l’auteur semble l’appréhender comme on assiste à un événement dont il serait opportun de tirer un haïku (mélancoliquement, à la manière d’Issa). Pour autant il s’agit bien là d’une prose, la plus factuelle qui soit, celle qui témoigne tristement d’une vie dont le sens échappe mais qui procure assez de distance pour la vivre et l’envisager dans une sorte d’exil à soi-même.
traduit du japonais par Alain GOUVRET
éd. Arfuyen, 2020
170 pages
16 euros