Coup-de-coeur de David MARSAC pour Saute le temps de Roger RUDIGOZ
DISSONANCES #31
« Si l’on détestait seulement les gens qui nous font du mal, où serait le mérite ? »
Je viens de lire les deux volumes de Roger Rudigoz – deux volumes d’un Journal qui en compte plus peut-être ?
Car je veux plus de la même chose.
Rudigoz est mineur, de cette minorité qui fait qu’André Blanchard aussi est grand. Saute le temps (et À tout prix) couvrent les années 60-62. Rudigoz, c’est de la rhétorique grand siècle 20, le beau milieu qui donna Hyvernaud, autre rhéteur de première force, un peu comme Rudigoz, mais différent. Chez Hyvernaud la tendresse est quasi invisible, alors que Rudigoz sait être grand par ce côté de la fragilité humaine : sa rhétorique pique dans l’humain, pioche le réel, avec parfois quelques bons mots (« René Julliard a la jaunisse. Dans quel but ? »). Mais récit tendre d’abord : sur l’enfance, père devenu libraire après avoir été fleuriste, les débuts d’un puceau à Marseille, un vrai roman d’apprentissage, amours inabouties pour une grande bringue promenant une levrette, solitude et misère. Le plaisir de regarder les gens et les événements suffit à faire de ce journal un livre dont la cuisine littéraire est quasiment absente. De sorte que la lecture des écrivains mineurs me semble bien plus intéressante que celle du catalogue des nouveautés : le récent est rarement le nouveau. Et donc retour à Rudigoz – même s’il m’agace un peu avec ses airs de crève-la-faim, d’écrivain méconnu conscient de l’être. On pourrait croire dans ces moments que Rudigoz a inventé la littérature à lui tout seul ! C’est pour cela que Rudigoz est grand.
éd. Finitude, 2012
224 pages
19,50 euros