ROUGÉ Erwann | Paul les oiseaux (portrait)

Coup-de-cœur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour Paul les oiseaux (portrait) d’Erwann ROUGÉ
DISSONANCES #47

Ça tremble dedans, au fil des mots du poète, ça tremble comme une aile de papillon, détachée, qui hésite à prendre le vent. Ciselée au plus près de l’os du langage et des blancs de la respiration sur la page, la poésie d’Erwann Rougé esquisse peu à peu la silhouette et les gestes de Paul, homme enfant ou enfant homme en déséquilibre sur la bordure du sens. Portrait oui, mais stèle surtout, mémoire de vent pour celui qui n’est plus et dont la disparition, annoncée pourtant très tôt dans le poème (« Paul a laissé son ombre entre les ronces ») surprend quand elle advient, choc au cœur, tant on a compagnonné près de lui.
L’écriture s’attache à saisir ce tremblement qui traverse Paul habité par l’envol, n’ayant « de peau que pour le vent », mais retenu, se débattant entre les plumes : « vent de tête / Paul vaxxxx le bec perdu d’avance ». La tendresse du texte allie le visible, l’observable des gestes, et le dedans, ses tentatives répétées vers le monde. La très grande économie poétique délivre la densité d’une présence innocente, crue et contradictoire ; poreuse surtout. Paul est un corps sans limite et sans mot pour en traduire les effets : «  Il donne ce qu’il n’a pasxxxx le corps à lui / et le silence n’en finit pas / Il donne ce qu’il axxxx  le silence de lui / et le corps n’en finit pas ».
Deux brèves parties succèdent au deuil, séparées d’une page blanche. Méditations dans le ressac de l’absence, faisant retour sur l’écriture, sur sa trace nécessaire (« C’est pour le sable que le doigt s’obstine ») et les grains crissent encore une fois le livre fermé : chef d’œuvre.

éd. Isabelle Sauvage, 2024
60 pages
17 €