ROUCHON-BORIE Dimitri | Le chien des étoiles

Regards croisés sur Le chien des étoiles de Dimitri ROUCHON-BORIE
DISSONANCES #46

Antoinette BOIS DE CHESNE :
Funambule de la nuit
Récit initiatique, roman de l’amour et de sa perte, Le chien des étoiles tire une bonne partie de sa grande force poétique de ses personnages eux-mêmes. Marqué d’un coup de tournevis au crâne, Gio, jeune gitan de « vingt ans tout rond », est bien un être dévissé, peu sur Terre, plus proche du ciel nocturne : « Il avait dit alors à la nuit : je te file mon nom, en échange tu me gardes près de toi, et c’est comme ça qu’il avait signé le pacte. » Sa famille détruite lors d’un règlement de comptes, il fuit en compagnie de deux jeunes rescapés adoptés par son clan : Papillon l’enfant muet, né dans la carcasse d’une Ford, assassin dans l’âme et peintre talentueux, et Dolores, « seize ans et quatre-vingt-sept jours », trop belle, trop séduisante, séductrice pour son malheur, mais dont Gio devine que « peut-être, elle est aussi une chouette dans un plumage trop beau pour ne pas lui valoir des ennuis loin du royaume juste de la nuit. » Car, oui, le monde diurne est rempli d’injustices où la mort guette ces trois-là tout au long de leur périple scandé par le mouvement des trains qu’ils empruntent en clandestins à chaque étape de ce road trip marqué par la violence – qu’elle soit de dettes d’honneur, de vengeance ou de stupidité villageoise – et ainsi, en neuf chapitres qui esquissent autant de manières d’être au monde, se tresse le destin tragique de Gio, talonné par la fatalité malgré quelques haltes et rencontres heureuses. Et si les relations de ce trio sont tramées d’innocence elles le sont tout autant d’intuitions, d’alertes et d’un savoir archaïque sur la noirceur des hommes. L’écriture filmique de Dimitri Rouchon-Borie en ciselant une langue irriguée par les sens rend tout cela avec une immense justesse : bouleversant.

Jean-Marc FLAPP :
Cantique des fracassés
Quand l’histoire démarre, Gio, doux géant gitan qui vient d’avoir vingt ans, rentre de l’hôpital où on l’a ramené au monde des vivants dont l’avait presque exclu un tournevis planté, lors d’une rixe, dans son crâne ; son retour au campement où l’attend sa famille pour venger son honneur est une catastrophe : la vendetta prévue tourne à la débandade (au massacre des siens) et Gio le revenant doit, pour sauver sa peau (même si de celle-ci il se fout complètement) et celles des survivants (Papillon l’enfant muet trouvé dans une voiture pourrissant en forêt (on dit qu’il a onze ans mais de cela aussi Gio se fout complètement : « C’est un petit frère et c’est tout ») et Dolores qui est belle comme une rose au printemps (elle a précisément « seize ans et quatre-vingt-sept jours ») et qui assume en silence le rôle d’objet sexuel que le Père lui a alloué), sauter dans le premier des trains qu’ils vont croiser et qui vont les mener, de rencontres en rencontres, de descentes en montées, nous avec, vraiment loin. Car le moins qu’on puisse dire est que Rouchon-Borie est un sacré conteur… et un grand halluciné : dans une langue lyrique et hautement sensitive qui n’est pas sans rappeler (et je pèse mes mots) celle du maître Giono («  Il y a dans l’air des signes qu’il voudrait refuser, parce que la prophétie du monde, en cet instant, est une langue de malheur »), il dresse sous nos yeux un décor de western de théâtre magique, minimal, glauque, splendide, dans lequel il déroule une épopée tragique abordant une fois de plus les thèmes qui l’occupent (l’enfance fracassée, la violence des hommes, la course désespérée vers une rédemption qui n’est pas de ce monde…) et c’est tellement beau et essentiel et vrai que parfois ça m’a fait (oui, carrément…) pleurer.

Côme FREDAIGUE :
Un road trip sans saveur
Avec ce road trip gitan, Dimitri Rouchon-Borie a l’ambition de nous raconter une belle histoire pleine de douleur et d’humanité. Le roman ne tient hélas pas ses promesses tant l’univers dans lequel il tente d’entrainer ses lecteurs sonne creux. Les personnages manquent cruellement d’épaisseur, ils sont le plus souvent réduits à des stéréotypes : Dolores, la jeune fille en détresse attendant son prince charmant, Papillon, l’enfant sauvage, Grand-mère, la pute au grand coeur, etc. De la même façon, les descriptions brèves et sans saveur peinent à faire exister un monde forcément sale et dépravé, elles plantent un décor de western en carton-pâte servant de toile de fond à une successions d’actions vite expédiées. On ne s’attarde pas sur les situations, on zappe de scènes en scènes sans tension narrative jusqu’au final, un grand baroud mystico-lyrique aussi abracadabrant qu’involontairement comique. Si quelques fulgurances stylistiques peuvent par moment toucher, l’écriture oscille le plus souvent entre une prose poétique au lyrisme forcé et des dialogues artificiels pastichant le « parler vrai » des bas fonds : «  Je vais y veiller au môme je vais y veiller » (Miçek) / « je sais pas mais j’imagine Suzi, j’imagine » (Henrique). Une seule voix semble sortir de la bouche des personnages, affectant tous les mêmes tics de langage. Ainsi les seins de la belle Dolores (le seul détail physique qui la caractérise !) sont qualifiés de « pêches » par tous les protagonistes, comme s’il n’existait que cette métaphore éculée pour les décrire. Tout cela sent le papier plus que la vie, l’encre plus que la poésie, le cliché plus que la littérature.

Julie PROUST TANGUY :
Conte linguistique
Dimitri Rouchon-Borie propose, pour son deuxième roman, un train-trip aux côtés des marginaux : Gio, un gitan au crâne cabossé par un tournevis et à la naïveté lyrique, Papillon, un muet presque sauvage, Dolores, une adolescente qui n’existe qu’à travers le désir qu’elle inspire… et autant de vies évoluant en périphérie de la normalité, en quête d’un absolu qui ne vient pas.
L’auteur explore, au long de cette fable linéaire, les vils instincts qui s’ébattent sur le rebord du monde : trahison, jalousie, concupiscence, cruauté… Il cherche à transformer cette boue sociale en or du vivre ensemble, en alchimie du partage – celui des mots et des valeurs tapies derrière ce langage malmené.
Le projet est intéressant, mais peine parfois à convaincre, tant le style cède à la tentation de l’aphorisme, tantôt d’un lyrisme naïf (« Tu prends la plume et d’un seul coup tu traces une ligne. Et tu regardes. Ton trait est à la fois parfait, et complètement raté. C’est ça, une personne. Un jour tu t’envoles, un jour tu chutes. On a les pattes au sol et la tête au ciel. C’est comme ça qu’on est fait »), tantôt d’une rudesse poussive (« C’est comme aller causer au destin, alors choisis bien ton verbe »). Si le travail sur l’oralité peut s’avérer intéressant et refléter la marginalité linguistique des personnages, il paraît parfois maniéré : au lieu d’incarner une certaine innocence, aussi rêche que poétique, il prend des allures d’exercices de style qui mimeraient des émotions brutes face à la violence du monde ; il échoue alors à éveiller le lecteur à la violence symbolique subie par les êtres gentils, malheureux, invisibilisés, que ce conte met en scène.

éd. Le Tripode, 2023
240 pages
19 euros