PIGANI Paola | La renouée aux oiseaux

Coup-de-coeur de Nicolas LE GOLVAN pour La renouée aux oiseaux de Paola PIGANI
DISSONANCES #40

C’est pratique de se dire au sujet d’un poème qu’il n’y a rien à comprendre et de, finalement, se substituer à son auteur, plus violeur qu’exégète. C’est justement ce contre quoi luttent les bons textes : l’intrusion snobe des athlètes de la critique.
Dans La renouée aux oiseaux (acheté-adoré bien avant le prix Apollinaire : quel nez !), cette résistance se fait subtile, farouche, et c’est une chasse au sens qui s’engage. Rien d’un bras de fer, mais une traque lente, faite d’avancées et d’affûts. Par-delà la magnifique sobriété de langue (« Je pourrais tenir dans une cosse de fève / le silence de son velours / Enfant à renaître »), un drame remonte tel un repentir, d’une cohérence terrible, qui ne raconte pourtant rien de trop. Ici, chaque vers se relève comme une trace fraîche – et sans ces feux d’artifice métaphoriques, ni ces dépouillements d’ossuaire. Car un seul regard suffit parfois : « J’ai dû laisser l’enfant dormir / quelque part / l’éloigner du soleil / le poser sur un limon très doux / qu’il tête en paix / mon absence ».
Qui parle ? Et d’où vient cette voix cloîtrée ? D’une prison, d’un asile ? « On m’arrache encore la chasuble / on me pousse dans l’eau / qui apprend à se taire ». D’un lieu de douleur aussi incertain que la vie qui reste : notre déréliction. Ainsi, dans ce sanatorium-purgatoire, rongé de mots-renouée (wiki), chaque page délivre des plaies sensibles d’une beauté dépossédée : «  Ses petits osselets piquent ma peau / je ne saigne pas / il m’a tout retiré / Alors chaque nuit / je fais de l’eau ».
Au corps du livre, des feuillets-cloisons bruns ou roses, d’un toucher plus troublant encore. Parce qu’un beau recueil se caresse aussi, comme on console.

éd. La Boucherie littéraire, 2019
96 pages
20 euros