DISSONANCES #46 | FRAGILE
Fragilité du bricoleur
« Il y a mis tout son cœur, le bricoleur. Tout son savoir et son ardeur. Il a même un peu surdosé le ciment : il faut que ça tienne ! Que ça tienne ferme, que ça défie les ans, voire les millénaires. Pas question que ça se casse la gueule, qu’un moellon vienne à se décrocher et entraîne à sa suite le reste du mur. Le bricoleur racle sa gamate, nettoie sa truelle, ôte ses gants, et croise les doigts en regardant l’ouvrage accompli. Voilà qui est bien, se dit-il en se frottant les mains, j’ai fait du bon boulot. Car il veut du solide, le bricoleur. Du costaud, de l’inaltérable, de l’immortel. Le bricoleur travaille pour l’éternité, son ouvrage doit lui survivre et témoigner pour lui dans les siècles des siècles, amen. À ses yeux, les pyramides elles-mêmes paraissent un peu fragiles, grignotées comme des biscottes par les vents du désert. Le bricoleur n’a d’autre ennemi que la fragilité. Que le vieux mur rafistolé à la chaux s’effondre, que le plancher ploie sous son propre poids, ou que le cadre se décroche du mur et aille fracasser la vieille potiche au-dessous, voilà quelques unes de ses innombrables angoisses. Le bricoleur vit en permanence dans la conscience douloureuse de la fragilité des choses. Et la première est peut-être, sans qu’il… »