MALONE Philippe | Richard IV

Coup-de-cœur d’Anne VIVIER pour Richard IV de Philippe MALONE
DISSONANCES #46

Des acteurs vieillissants endossent les costumes de personnages de Shakespeare. Ils ont abandonné l’idée de révolutionner le théâtre. Richard, lucide et résigné, abandonne même l’idée du pouvoir pour le laisser à ses pions, Buckingham et Norfolk. Anne a grandi et s’affirme « grâce à un revirement tendanciel du rapport de force viril, certes précaire, mais profitons-en ». Tandis que Buckingham et Norfolk testent leurs programmes respectifs – l’un veut réarmer, l’autre trahir – c’est le drame : l’auteur se suicide. Les acteurs/personnages débarrassés de leur partition sont en roue libre. Buckingham et Norfolk enchaînent les tirades haineuses et obscènes, et Richard de remarquer : « lorsque le sol s’enfonce ça vire à tribord ». L’éditrice dévoile alors en toute transparence les intentions de l’auteur par la publication d’écrits posthumes dans une longue note en bas de page qui constitue l’intégralité de la scène 3 de l’Acte III, rendant à peu près vain tout travail d’analyse critique. Buckingham est élu, Norfolk retourne sa veste, et le peuple disparaît laissant ces tristes pantins régner sur des ruines.

Richard IV est une farce politique désopilante sur la comédie du pouvoir et de son exercice, un jouissif jeu de massacre. Mais au détour d’une réplique, Philippe Malone désamorce la farce de son écriture de précision, de son implacable sens du rythme et de ses ruptures. Comment ne pas être crucifié par la beauté mélancolique du dernier monologue de Richard et terrassé par les répliques définitives d’Anne ? Car Anne, elle, ne joue pas, ne joue plus, et danse sur les cendres d’un monde révolu : « Ouvrez les yeux, Buckingham. Il n’y aura pas de Richard V ».

éd. espaces 34, 2023
112 pages
16 €