LETOURNEUR Rémi | L’odeur du graillon

Coup de cœur de Jean-Christophe BELLEVEAUX pour L’odeur du graillon de Rémi LETOURNEUR
DISSONANCES #49

L’odeur du graillon, un titre comme ça, a priori, peut sembler ne pas annoncer un livre de poésie. Ah, certes, ce n’est pas du Bobin. Mais tant mieux ! C’est la rue qu’explore Rémi Letourneur (« dehors / c’est la loi qui le dit / interdit de s’en foutre partout / de boire / pas le droit d’être saoul / dehors / avec modération ») dans une langue qui est celle de l’oralité d’une jeunesse qui traîne avec les potes pour trouver à becqueter, aussi bien de la nourriture que de la vie : « toute l’équipe est là / à bouffer du ciel et des clopes / les yeux orang-outan / sautent courent s’insultent et se battent / ils fument / des narines de dragon / envoient les phalanges pour dire ça va / pendant que le crépuscule enfile / en scred / ses boucles d’oreille prune ». Refus de la normalité, affirmation de cette liberté libre que s’est entêté à chercher Rimbaud, déambulations hasardeuses sans autre but sans doute que d’être là, intensément, dans le présent, sept longs poèmes qui filent à toute berzingue parce que de toute urgence, l’énergie de la forme et du vocabulaire habillant parfaitement ce qu’exprime le texte : « les autres / ceux qui voudraient que je taffe / perfusé à une chaise / que je fasse rentrer des thunes / et des clous dans mes pompes / je les écoute pas » (on songe évidemment au poème Les assis du susnommé Arthur). De cette vie sans folie, le poète Letourneur, lui-même sans amarres, n’en veut pas : « il faut marcher / sans s’arrêter / sans piste ni boussole / à travers le bitume les dunes les forêts / tendre nos pieds vers l’horizon ». Avancer, n’est-ce pas. Vers et pour quoi ? Juste pour rattraper ce qu’on sera l’instant suivant ? Et alors, ce n’est pas suffisant ?

éd. Cheyne, 2025
80 pages
18 €