Coup-de-coeur de Tristan FELIX pour Un requiem allemand 1986 de Werner LAMBERSY
DISSONANCES #30
Un récitatif, de la densité hallucinante des morts face au poème, où s’invitent Brahms, Gluck, Britten, Purcell, Bartók, Cage, Otis Redding, Parker, Holiday, Marilyn, Makeba, Pasolini, Garbo, Rothko, Eschyle, Homère, Dante, Lowry, Welles, Malaparte, Han Shan, Pratt… non pas cautions savantes ou populaires mais racines et branches auxquelles s’agripper pour ne pas dévaler la pente boueuse d’une identité schizophrène : Werner est convié en 1986 pour la traduction en allemand de Quoique mon cœur en gronde. Venu un jour plus tôt, comme au seuil du passé et de l’avenir, il erre dans la forêt de Wannssee où sa mémoire se perd dans une enfance cauchemardesque et tente de rappeler à la conscience universelle que l’histoire de l’homme est celle de son massacre. « Se haïssaient-ils tellement ou aimaient-ils tant l’exécrable triomphe des peurs par la victoire sur les plus inoffensifs, ceux qui en deux heures à la villa Marlier, ont justifié l’horreur pour les siècles à venir et posé la terreur en système éternel ? » Ecrire comme Oreste, coupable-salvateur, s’agenouille pour exténuer les Erinyes ; se retourner sur le lieu-même où se tint la conférence des exterminateurs ; écrire pour incorporer la mère juive et sceller le trou noir du père flamingant engagé dans la Waffen SS en 1941 ; écrire parce que le poème est « une genèse urgente » après la Solution Finale planifiée en 1942, en présence subalterne du père qui jamais ne reniera ses convictions en prison. Lisant ce Requiem, je pense aussi à Joe Bousquet, à Bruno Schultz dont les chairs faites métaphores se mêlent au gouffre du poème.
éd. Caractères, 2015
50 pages
9 euros