LAFON Marie-Hélène | Les sources

Coup-de-cœur de Jean-Marc FLAPP pour Les sources de Marie-Hélène LAFON
DISSONANCES #46

Lire Les sources c’est plonger (être happé) puis remonter, en trois parties-paliers, trois actes/moments-clés de plus en plus récents et de plus en plus courts (1967 : deux jours / 70 pages ; 1974 : une nuit / 30 pages ; 2021 : moins d’une heure / 6 pages), de la suffocation à l’air et la lumière dans l’histoire d’une famille, d’une ruralité qui mute et disparaît, d’une maison, d’un pays ; c’est passer de la mère à la fille par le père en narrations internes parfaitement maîtrisées, totalement immersives car faites seulement de sensations et pensées, sans aucun commentaire, sans rien pour décorer ; c’est vivre du dedans la violence conjugale (les coups, les viols, la peur) et le dégoût de soi dans l’abjecte soumission (« elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il est le père des trois enfants, il les regarde à peine mais il est leur père, il est son mari et il a des droits ») puis, presque sans jugement, l’absolue bonne conscience (quasiment l’innocence) de la brutalité naturelle et bornée (« Il avait fallu que ça tombe sur lui, une femme molle et nulle, nulle en tout […] , il était toujours prêt à exploser, et plus elle avait peur, plus il s’énervait ») et le bonheur enfin de la paix revenue dans un monde lavé par le temps qui a passé (« elle pense exactement ça, qu’elle a de la chance avec la lumière d’octobre, la cour de la maison, l’érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu’à elle dans l’air chaud et bleu ») ; c’est en sortir secoué mais grandi par rapport à quand on y est entré car ce livre hyperdense, âpre, urgent, acéré, d’une immense empathie, d’une extrême acuité, puise aux racines mêmes de notre humanité.

éd. Buchet/Chastel, 2023
128 pages
16,50 €