KASAHARA Shiho | Dans la forêt qui manque

Coup-de-cœur d’Anne VIVIER pour Dans la forêt qui manque de Shiho KASAHARA
DISSONANCES #48

« Elle », violoniste, se rend au Japon pour enterrer son père. Dans l’avion, dans le métro, chez une amie tokyoïte, à Paris ou au Japon, « Elle » écrit, lit, ses pensées vagabondent et nous racontent l’histoire d’une vie entre deux pays, deux langues, deux époques, deux forêts. « Ses mots projetés / L’un après l’autre se cognent contre ma tête ».
Dans la forêt qui manque est d’abord une histoire de langues : celle qu’on pratique (la maternelle), celle qu’on n’a jamais apprise (la paternelle), celle de la bouche, empêchée, qui bute et qui bégaie, et celle dans laquelle « Elle » joue, sa langue naturelle, la musique. « Mon contour devient de plus en plus flou / Au cœur de cette forêt qui m’observe » : l’autrice joue sur la désorientation et celle-ci est avant tout sensorielle (le bruit d’un intestin devient celui de l’océan, une phrase un battement de métronome). L’esprit d’« Elle » voyage, saute d’une époque ou d’un lieu à l’autre. Les corps ne semblent jamais à la bonne place : un métro labyrinthique, une forêt chaude et humide. « À chaque battement de cils / Je m’approche du vert / Mais pas encore / Je ne suis qu’au flanc de ce vert qui se dilate ». Le puzzle de l’histoire se compose progressivement. L’écriture de Shiho Kasahara est pleine de trous. Il y a un point après le nom des personnages, il n’y en a pas à la fin des dialogues. C’est une écriture comme des petits pas japonais, une écriture de l’économie, du vide, de l’ouverture, qui offre beaucoup de place au lecteur.
Ainsi, Dans la forêt qui manque est un chemin plein de bifurcations et sur lequel le lecteur continue à marcher longtemps après avoir reposé le livre.

éd. Quartett, 2024
96 pages
14 €