GRANJARD Justine (extraits)

DISSONANCES #30 | QUE DU BONHEUR !
La voie Machame
« C’est qu’avec la distance, l’altitude et cette douce anesthésie de l’air se raréfiant qui rend chaque bouffée plus précieuse, elle en vient à se dire qu’ils ne sont pas si terribles, après tout. La mère est un peu cruelle, monstrueuse dans sa façon de donner toujours plus et sans concession. Elle habitue à cette générosité, à ce don absolu de soi qui ne peut qu’engendrer la déception. Elle est somme toute comme les autres, elle ne pense qu’à elle lorsqu’elle se retrouve au bord du gouffre, qu’il faut survivre. La mère donne et cesse un jour, d’un coup. Elle te laisse sur ta faim comme une idiote avec tes attentes ridicules, seule et trop gâtée en terre hostile. Elle te laisse avec des yeux trop bleus, trop grands. Trop bleus pour affronter la noirceur. Et trop naïfs, trop pleins d’amour pour concevoir qu’un autre sentiment puisse dominer le monde et motiver les hommes. Elle te laisse des siècles de féminité en cadeau, et te dit « marche, mon enfant ». Et toi, quand tu entreprends le voyage, tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques. Personne ne te le dit, que tu traîneras tout derrière toi, le poids accumulé des générations, la somme des conneries que tu paieras sans comprendre, jusqu’au jour où tu t’en déchargeras sur une autre plus petite que toi, sans plus… »