Coup-de-cœur de Jean-Marc FLAPP pour Le Sacret de Marc GRACIANO
DISSONANCES #36
« L’oiseau de proie était tellement figé que, de loin, il avait semblé au garçon une motte de terre, et l’oiseau était tellement faible qu’il laissa s’approcher le garçon sans réagir, et, quand le garçon fut proche, il vit que l’oiseau avait une aile blessée […] », et ses ailes Le Sacret vient de les déployer, et la suite c’est cette phrase qui vient de s’envoler pour, sur quatre-vingts pages (sans jamais se poser, se perdre, s’essouffler), dérouler un récit factuellement très simple (dans les temps médiévaux un jeune serviteur sauve un rapace blessé dont la grande noblesse fait qu’ils sont invités par le seigneur local à une chasse au vol) mais auquel l’ampleur-même de cette phrase unique (par le rythme organique de sa respiration, par l’extrême précision (la musicalité, le constant chatoiement) de son vocabulaire et de ses descriptions (« […] et les yeux du lièvre possédaient un iris doré presque de la même taille que l’oeil, si bien que la sclère était quasi invisible, avec une immense pupille en forme de bille noire, et leurs cornées brillantes continuaient de refléter immensément le monde autour […] »), par la sauvagerie de ce qu’elle décrit, par son érudition comme par sa souplesse et par sa concision) donne une force suggestive impressionnante et rare (on pense à Claude Simon) qui fait que s’y lancer (et se laisser porter) c’est vivre l’expérience d’une lecture-hypnose qui est une sorte de transe (ou d’extase selon) par laquelle ce qui se passe dans le texte qu’on lit on le vit du dedans (peut-être même plus que si on le vivait vraiment) et donc là on y est (on voit on touche on sent) : comme en voyage astral dans l’espace et le temps on vole également, et c’est enthousiasmant.
éd. Corti, 2018
96 pages
14 €