GOUTTARD Alexandre | Dommage

Coup-de-cœur de Jean-Christophe BELLEVEAUX pour Dommage d’Alexandre GOUTTARD
DISSONANCES #47

« Dieu ! bordel de merde ! Pardonne-nous putain ! »
Un poète qui écrit ça titille forcément mon intérêt. Attention : naissance d’un grand écrivain dont c’est le deuxième livre seulement ! Tourbillon foisonnant, monstrueux, dans lequel on peut suivre, entre autres, les doubles de l’auteur, Alejandro ou Humanité N°43 : « Naguère, les objets mêmes se confiaient à lui car avec la plus humble tendresse il écoutait leur silence, qui est très saine souffrance. » L’écriture incroyablement variée passe d’une prose léchée à des vers où l’illumination quasi rimbaldienne le dispute à l’imprécation. Toutes les formes se suivent, se mêlent (pure narration, dialogue, séance de psychanalyse, confession, voire comptine inventée pour le besoin du propos…) avec constante force, génial sens du tempo, et humour (« Mieux vaut Gouttard que jamais » ou ce chien qui s’appelle Hallelujah : « Hallelujah / Au pied ! / Hallelujah / Assis ! ») Il est fort difficile de rendre compte de ce labyrinthe (ne pas se fier aux seules pauvres citations que j’ai extraites) mais en acceptant de se perdre dans ses couloirs schizophréniques, on en ressort secoué par leur étrange beauté (« Amour qui connais si bien la campagne / En offres les figues / Le nom les chemins / Les horizons brossés de mirages et de vignes »), on navigue entre soutenu et familier dans un foisonnement de trouvailles langagières, car la langue importe – oh elle importe énormément ! – pour ce natif de l’île de la Réunion qui a étudié les Lettres et la Philosophie. Et qui est un véritable orfèvre jusque dans les énonciations les plus simples : « C’est comme un chant d’oiseau / Mais est-ce que les morts s’enivrent du chant / Des oiseaux qui sont morts ? » Et donc oui j’ose le mot : chef d’œuvre !

éd. La Crypte, 2024
210 pages
18 €