Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Quelques bois de Pierre GONDRAN DIT REMOUX
DISSONANCES #47
Un étrange vertige statique nous prend à lire ce poète qui a écrit depuis 2020 une dizaine de recueils à la fois minces et d’une densité extrême. Puisant au vol dans ses connaissances d’ingénieur agronome et de correcteur de textes médicaux, il offre dans tous ses opus une forme mimétique très cadastrée – textes en bas de pages suivis d’italiques forestières, gros points de suture dans Quelques bois, rectangles verticaux dans Réa (éd. de L’éclat) ou poèmes à cinq lattes dans Banc (éd. Aux cailloux des chemins) – et un contenu d’une méticulosité scientifique hallucinée. « Avec le soir la neige émet un temps son indigo phosphorescent • la forêt gothique s’orne de sombres cierges appendus de lichens fruticuleux • détrompe-toi : la cathédrale n’est en l’honneur de rien ». Fragments, greffes ou lésions, les vers captent visuellement l’infiniment petit pour en extraire le suc vital essentiel à la restauration d’une anatomie atomisée, vidée de sa substance : lignine, humus, sève, neige, résine, sang, eau absorbent le vrai corps fait poème « comme un infini de forêt où engluer ta peau d’ermite • de reclus divaguant en son corps • d’écorché ». Alors seulement, dans cet état qui oscille entre perception mystique, rêve et abîme du réel qu’il ne faut pas lâcher, une issue par le vide est possible car la langue trouve comment s’inventer en se nettoyant – sans jamais s’aseptiser – pour laisser proliférer sa propre souche (« pressant de sève ses blessures et ses bourgeons endormis, la souche vivante fait jaillir la cépée ») et il suffit de se planter chaque poème dans la cervelle pour l’y voir prendre puis, le relisant à loisir, observer la floraison de sa très singulière rhétorique tout en heurts, ellipses et caresses.
éd. PhB, 2024
105 pages
10 €