Coup-de-cœur de Jean AZAREL pour Un mot sans l’autre de Lili FRIKH
DISSONANCES #46
Un mot sans l’autre est un livre fort, plus fort que le café le plus fort, parce qu’il ne triche pas : sur le divan du psychanalyste-poète-écrivain Philippe Bouret, Lili Frikh nous donne en moins de cent pages les clés qui ouvrent grand les portes de son oeuvre littéraire et graphique. Nulle confiserie poétique ici. Lili prévient : quand elle écrit « c’est dans le vide. Il n’y a pas de chaise pas de table pas de papier pas de stylo… C’est aveugle. » Plus loin elle précise « oui, j’écris à voix haute. […] J’écris avec la voix qui prononce, dans le souffle de l’oralité. », évoque la jouissance de la voix d’avant les mots, rappelle la putasserie « des créateurs de tendances qui vont faire un tour de bidonville pour détecter et s’emparer des trouvailles de la misère matérielle », plaide pour le renouvellement de l’inconnu qui « existe comme tel et fait partie de vivre » car « ça permet de laver les œuvres, et oui faut laver les œuvres pour qu’on ne les prenne plus pour des objets d’art. »
Un mot sans l’autre est une œuvre de salubrité publique sur la misère d’écrire en poète (« Le poète n’a jamais été celui qui veut être malheureux et crever de faim. La misère n’a jamais été une revendication, pas plus que la souffrance, seulement la conséquence d’une résistance »), un cours de philosophie sans afféteries (« la déconstruction linguistique n’est chargée que de la part conceptuelle de la langue et passe totalement à côté du souffle analphabète qui traverse la totalité du langage »), et un ouvrage indispensable pour comprendre comment échapper à la dictature du portrait sur le visage et aller en poésie : « Quand Rimbaud parlait de « changer la vie », c’était pour plus de vie. » Dont acte !
éd. Mars-A, 2023
106 pages
15 €