COIFFIER Sophie | L’éternité comme un jeu de taquin

Coup de cœur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour L’éternité comme un jeu de taquin de Sophie COIFFIER
DISSONANCES #49

Le jeu de taquin, par sa structure, est mobile : quinze pièces (chiffres ou morceaux de puzzle) coulissent dans un cadre grâce à une seizième case absente. C’est sur cette contrainte mathématique et perecquienne que Sophie Coiffier construit son « Perec 53 » : neuf séquences/images dont une « vide » dissimulée à l’intérieur afin, dit-elle, « d’essayer de reconstituer l’image disloquée qui représente ma relation à l’œuvre de Perec. » Tentative de reconstitution mais aussi dédale des échos nés des indices visuels successifs, entre autres : la case blanche qui ouvre Espèces d’espaces (et qui déjà dessine la case vide de ce taquin), le dessin de Paul Klee Caricature d’un meuble, les lieux réels (l’appartement parisien de Perec ou le Moulin d’Andé). Le titre nous prévient : il y a du jeu, les choses glissent à travers le temps, se rencontrent, s’éloignent à nouveau et surtout se questionnent car « l’écrivain n’est pas là pour donner des réponses, mais pour poser des questions ». Émouvants sont aussi les points de convergences entre la narratrice et l’œuvre scrutée, à peine un pli dans le courant du texte, qui surgissent parfois : « L’écriture a-t-elle le pouvoir de remplacer une langue première qui n’a pas été transmise ? »
La case vide rejoint l’amnésie d’enfance de Perec, origine d’une œuvre multiforme où le désir de rendre pérenne l’éphémère joue un rôle clé. Passé et présent glissent dans le cadre, assez pour que s’y glisse le clin d’œil d’une autre lecture : « En quechua, on dit que le passé est devant nous puisqu’on peut le voir. C’est l’avenir qui est derrière, caché dans notre dos » (Arianna Ceconni, Les oracles de Teresa).
Touchée, donc, par la porosité des bords dépliés.

éd. L’œil ébloui, 2025
53 pages
12 €