Coup-de-cœur de Jean AZAREL pour Les perdants magnifiques de Leonard COHEN
DISSONANCES #47
Récit déjanté d’un ménage à trois où il est question d’un narrateur poursuivi par le suicide de sa femme Edith, de la relation désinhibée du couple avec l’intrigant et sulfureux F., Les perdants magnifiques nous entraîne dans une histoire à tiroirs où le Québec rêve encore de se libérer de la tutelle anglaise. « C’est ce bruit, ce sifflement qui erre sur toutes les femmes. Il y a une seule exception. J’ai connu une femme qui s’est donnée avec un bruit différent, peut-être une musique, peut-être le silence. » Pour se sortir de la spirale infernale du sexe et d’une révolution manquée, le narrateur tente de conjurer le destin par l’invocation de la première sainte indienne du Canada, l’Iroquoise Catherine Tekakwitha, convertie par les Jésuites au XVIIème siècle. Ce bienfaisant placebo spirituel ne peut empêcher le récit de déraper bienheureusement dans des réflexions apocalyptiques sur la puissance divine, la luxure, la contre-culture des années 60, Hitler et les Juifs… Tel un feu d’artifice en apparence incontrôlé, l’univers romanesque de Cohen explose en novas d’incantations mystiques, saynètes érotiques, conversations politico-philosophiques et prophéties. Écrit en 1966, Les perdants magnifiques reste une œuvre à longue portée provocatrice, un joyau littéraire qui préfigure à merveille le Cohen chanteur, déchiré entre vice et vertu, lonesome cowboy moderne errant dans un monde qui a changé les règles de l’amour et de la connaissance, magicien extatique mais douloureux, car sans illusion : « Seul avec ma radio, je lève les mains. Salut à vous qui me lisez aujourd’hui. Salut à toi qui me brises le cœur. Salut à toi, ami, à qui je manquerai toujours sur le chemin de la fin. »
traduit de l’anglais (Canada) par Michel DOURY
éd. Christian Bourgois, 2019
304 pages
10 €