Coup-de-coeur de Tristan FELIX pour Le jour des corneilles de Jean-François BEAUCHEMIN
DISSONANCES #21
« que bientôt potence me rompe le col et me mène auprès de père et mère dans le silence des choses, et qu’ainsi reliés nous devenions les premiers macchabées à sourire enfin. » Si Le jour des corneilles est un récit poignant, incisant, c’est parce qu’il s’énonce à grands coups de langue fouisseuse et possédée. Si la confession du fils Courge accomplit son salut – fût-il conduit à la potence – c’est parce que ses mots sont nus de paupières et échappent à toute suture : il les a appris en captivité pour plaider non coupable mais c’est leur sauvagerie d’avant la lettre qui vaut plaidoirie. Courge prétend qu’en nulle chair de son père il n’a trouvé la plus petite palpitation d’amour. Du moins l’a-t-il imprégnée toute de sa passion filiale. Est-ce pour reconnaître que le sentiment ne se touche pas, que le narrateur n’a de cesse de se rouler dans toutes les peaux ? Le lecteur seul sera juge, silencieux en sa moelle ; il revêtira la pelisse lourde d’un parler archaïque, natif : enfin sera nu. Car lire Le jour des corneilles c’est mettre la main sur du sentiment qui tressaille, espérer en l’animalité perdue, embrasser la putain de belle langue d’un Villon québécois atrocement vivant.
éd. Les Allusifs, 2004
152 pages
13 euros