Coup-de-cœur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Les femmes qui me détestent de Dorothy ALLISON
DISSONANCES #47
« Et je chevauche bien haut mon amante » : dès l’ouverture, Dorothy Allison donne la tonalité de son recueil en revendiquant avec fierté sa liberté d’explorer les plaisirs sexuels, sa soif de reconnaissance et d’élévation. Figure emblématique des Sex Wars des années 80 aux États-Unis, dissidente féministe, l’autrice répond ici à celles qui la rejettent parce que libre, lesbienne, rebelle. À ces détractrices qui veulent lui imposer le silence, elle oppose sa parole poétique insolente et charnelle : « Les femmes qui me détestent / détestent / l’insistance de leurs désirs, le débordement de leurs envies / ravalées et enfouies, disciplinées jusqu’au néant / réduites jusqu’à l’os dans la sécheresse / de leurs rêves humides / […] rejettent / la faim et l’appétit / le délice crémeux / d’un cri qui arque les cuisses et remplit / la bouche d’un chant ». Avec ses « paroles dans le ventre » et son « vent dans la bouche », Dorothy Allison cultive l’intime. Incarnée, sensuelle, organique, sa langue coule, tranche, brûle en un foisonnement d’images : ici, l’océan se mue en corps féminin pour rugir de plaisir ; là, la chair se gonfle comme un ruisseau de montagne torrentiel et meurtrier. Ainsi l’imaginaire érotique se mêle-t-il aux souvenirs et l’autrice nous retrace la découverte du désir, l’enfance volée, la violence des hommes. Puis, au fil des pages, le recueil devient quête de sororité et se fait chambre d’écho pour d’autres voix de femmes, l’écriture transformant la colère en chant d’amour : « Où donc alors trouverai-je le pays / où les femmes ne font jamais de mal aux femmes / où l’on se tiendra côte à côte / enfin à l’écoute / de l’entière vérité nue de nos vies ? ».
traduit de l’anglais (États-Unis) par Noémie GRUNENWAL
éd. Hystériques & AssociéEs, 2024
128 pages
16 €