SEURAT Alexandre | La maladroite

Coup-de-coeur d’Alban LÉCUYER pour La maladroite de Alexandre SEURAT
DISSONANCES #30

Diana ne paraît pas ses 8 ans. Mutique, peut-être un peu attardée, maladroite évidemment, la petite fille pose ses grands yeux incompréhensifs sur un monde brouillé et inaudible, qui semble lui parvenir de beaucoup trop loin. Alors quand elle disparaît, tous ceux qui l’ont connue – sa tante, sa grand-mère, son frère, ses instituteurs, etc. – reviennent sur les instants passés en sa compagnie pour essayer de comprendre à quel moment elle leur a échappé, à quel moment ils n’ont pas su voir ce qui était en train d’advenir. Le frère : «  J’aimerais pouvoir dire que je l’aimais comme une sœur – mais elle n’en était pas une pour moi, puisqu’elle n’était rien, puisqu’on ne la voyait pas, qu’on n’avait pas le droit de jouer avec elle, qu’elle passait des journées entières dans sa chambre, et si elle pleurait c’était pire, parce qu’elle était punie ».
La maladroite renoue avec la structure narrative du Citizen Kane d’Orson Welles : le récit repose entièrement sur une succession de témoignages parcellaires, subjectifs, laissant le lecteur seul en possession de cette matière incertaine et dérangeante. Le style d’Alexandre Seurat épouse parfaitement la singularité de ces paroles qui se répondent et se contredisent, révèlent l’évidence des faits pour aussitôt la mettre en doute. Beaucoup de phrases échouent avant d’avoir réussi à convoquer un verbe, comme pour dire l’impuissance, la mauvaise conscience, et le silence assourdissant de Diana finit par nous retenir de force à l’intérieur de ce huis clos familial et banlieusard où les faux-semblants restent la seule échappatoire.

éd. du Rouergue, 2015
122 pages
13,80 euros