LAMBERSY Werner | Dernières nouvelles d’Ulysse

Coup-de-coeur de Tristan FELIX pour Dernières nouvelles d’Ulysse de Werner LAMBERSY
DISSONANCES #31

« Ici commence le chant qui durera autant que les hommes. » Dix ans, dit le poète, pour écrire ce long poème, dans le giron d’Ulysse revenant à Ithaque offrir à Pénélope ses trahisons et son amour intact pour éprouver s’il est encore lui-même ou personne. Une Odyssée à bord du poème, cette antique énigme qui interroge la nécessité du verbe comme urgence de la beauté, qui fend les flots d’une culture universelle en explorant les gouffres de la mémoire en cours comme les galeries d’une Babel en ruine : commerce de migrants, trafic d’organes, tortures, exterminations, fascismes renaissants. Déjà dans Requiem allemand 1986, la mémoire des noms et des faits tournoyait en orbes obsédants et houleux comme chez Joyce ou Dante pour suivre l’aventurier aux mille vies et langues jusqu’au cœur de sa cité, de son enfer. Le recueil, cousu et collé, avec une remarquable préface d’Hubert Haddad et armorié de sept peintures d’Anne-Marie Vesco, contient dix chants d’inégale longueur, proférés pour la plupart sur le mode du distique ou du tercet (parfois des citations), disposés en deux colonnes sur chaque page ainsi que des rangées de rameurs entonnent avec le nautonier des paroles contre la perdition. Si « Ulysse n’a rien dit de ce qu’il a entendu », c’est qu’« il y a dans la voix des zones de ténèbres ». Son chant pourtant doit percer son propre silence, déchirer les flancs du cheval de Troie, se faire sortilège avec l’art inattendu du pied de nez dans l’aphorisme : «  Orages / d’aurore boréale / sur la banquise brûlante // Et mascara / de courtisane autour / la danse érotique du cil // Tout nouveau-né court vers / mort inconnu ». Chez Lambersy, « la beauté demeure l’éternel début » et se permet le poème total.

éd. Rougier V., 2015
103 pages
18 euros