LAGORRE Corinne | Voyons-nous

Coup-de-coeur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Voyons-nous de Corinne LAGORRE
DISSONANCES #31

« Ça commence comme ça » : elle, sur son balcon au huitième étage d’un immeuble parisien, repeint ses meubles, faisant table rase d’une vie maritale qui l’a « essorée et séchée », où famille rime avec famine. Lui, sur le balcon d’en face, musicien esseulé, focalisé sur ses poissons rouges, va se trouver happé par cette femme, la « Marie-Madeleine du Titien et sa longue chevelure étalée sur sa nudité ». Ces deux héros à la fois singuliers et universels ne se quitteront plus des yeux. Naufragés virtuoses, ils vont se laisser porter par leur part de merveilleux, jusqu’à se hisser sur les toits parisiens, contre la bassesse du monde. Au fil du récit, le lecteur suit le cheminement de leurs sentiments naissants. Et c’est sur le théâtre du balcon, dans le jeu des postures et des miroirs, que leurs élans et leurs doutes s’incarnent. « Tu penses à partir et à rester. Tu penses à d’autres couples que tu pourrais former, et tu tombes sur aimer et détester. Aimer et détester s’assemblent, ils restent collés ». Corinne Lagorre nous dévoile ici une relation intime, aérienne comme son écriture qui s’envole en salves poétiques, convoquant Baudelaire et Apollinaire. Les voix narratives mêlent les regards, se distancient, se rapprochent, comme ces deux corps tendus au-dessus du vide, et « C’est à se demander qui regarde qui ». Voyons-nous est un premier roman surprenant et audacieux, qui rassemble et renouvelle des topoï éculés : la rencontre, le balcon, l’artiste solitaire. Et même le violon y fait entendre une partition inédite, une musique de l’âme qui nous entraîne dans une frénésie de vie, où le regard révèle l’essentiel des choses insignifiantes. Parce que « Tout est important ».

éd. Sulliver, 2016
90 pages
10 euros