HADDAD Hubert | Mā

Coup-de-coeur de Tristan FELIX pour  d’Hubert HADDAD 
DISSONANCES #33

Lire Hubert Haddad, comme narrer la biographie d’un poète, c’est participer à un rituel guérisseur où, d’un roman à l’autre, les figures du double, de la noyée, de la dépossession d’enfance, de la mémoire fantôme, du vide, de la fange et de l’éblouissement séraphique, de l’errance ou du rêve tissent une poétique intime et élégante, avec ses pèlerinages assonancés, ses énigmes allitératives, ses strophes rocambolesques à la Takeshi Kitano, ses enjambements spectraux. Ici, enveloppé des charmes de l’estampe, escorté de haïkus et de visions hallucinées – « des cadavres carbonisés chutent des fenêtres comme de grosses chauves-souris endormies » -, le lecteur suit, au cours d’une narration parallèle et en abîme, deux voyages intérieurs : celui à la troisième personne du clochard céleste Taneda Shōichi, devenu Santōka le haïkiste, avatar de Bashō, puis Kōho le moine érudit, et celui, à la première personne, du narrateur homonyme Shōichi, étudiant énamouré de Saori, biographe secrète de Santōka. Par amour pour elle, il sera « dernier moine pèlerin sur ces terres chancelantes », le seul avec qui elle eût aimé vivre : «  j’ai relu en pensée le roman vrai de Saori ». Vivre sera pérégriner en l’autre, s’inscrire dans un destin littéraire pour se guérir en se dépossédant de soi. La blessure des deux héros est l’origine manquée, la perte de la maman et de l’amour : la mère du poète se jette dans un puits par dépit amoureux, celle du narrateur s’écroule puis son amante se noie. Entre les échos lointains d’un monde chaotique, vivre sera revenir à la matrice, tracer au-delà de la feuille son kanji : Mā.

éd. Zulma, 2015
201 pages
8,95 euros