ESNAULT Christophe (extraits)

DISSONANCES #38 | FEUX
Autobiographies de mes eaux froides
« Un bras de poupée, brûlé à la flamme d’un briquet qu’un enfant écrase sur la joue d’un autre enfant. Une pomme du verger traversée par une branche posée sur les braises d’un feu improvisé par la faim. Une maison en feu à Morlaix et des badauds qui profitent du spectacle. Des patates emballées dans du papier d’aluminium entre les bûches incandescentes. Le reflet d’une femme nue sur la vitre noircie du poêle à bois. La façade d’une banque cocktailmolotovisée dans une joie pure qui a le goût d’un monde plus grand. Le gosse apprend l’expression « brûlé au deuxième degré ». Avoir en bouche le goût d’une pomme caramélisée. Assister à un spectacle non signalé, six minutes chrono et au final tas de cendres noyées. L’oubli est cendre dans ma bouche, en grande quantité. Je décharge à la pelle ma bouche de toute cette cendre. De cette mémoire que je n’ai plus. Ma révolte est dans les cendres que j’extrais encore de ma bouche, jusqu’à épuisement et jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus trop. Je finis à la cuillère à soupe et au tuyau d’arrosage, puis je me brosse les dents. Et il est assurément trop tôt ou trop tard pour m’inventer une révolution. La Chambre d’Amour réclame son eau. J’embrasse une autre femme après avoir fanfaronné qu’… »

DISSONANCES #36 | LA VÉRITÉ
Vie et morts du Chargé de mission
« Dieu a été vu en short et en chaussure de golf en train de zoner autour de bons de réduction abandonnés caisse 47.  Je dois t’assurer – sans un superlatif, sans un lexique poussif ni appuyé, et avec un nombre de signes limités – que je suis indiscutablement l’écrivain que tu es aujourd’hui heureux de connaître puisqu’il fait de toi un lecteur-précurseur. L’un des fils de Dieu postule pour ce poste : Un(e) chargé(e) d’étude technique et culturelle d’un fonds de poésie conntemporaine (tape l’intitulé avec la faute de frappe et retrouve l’annonce de La Maison de la Poésie de Nantes grâce à un moteur de recherche). Type d’employeur : Association / Date limite de candidature : 23/11/2019 / Date de prise de fonction : 14/01/2020 / Gratification : 550 euros/mois.  Après une blessure narcissique non mentionnée ici, l’auteur assassinera cent-vingt personnes (réfléchis une seconde, tu sauras où) pour assurer la promotion de ce court texte qui ne contient aucune vérité lisible dans un cadre et contexte institutionnels. Toutes les lois de ce pays ne sont pas aimables. Ressens-tu dans ton cœur la palpite de cette sublime-émotion prodiguée par LARD (Lumineux Artistes Reproductibles Dégénérés) de la litote ? Faire les questions et les réponses : Il n’en faudrait… »

DISSONANCES #30 | QUE DU BONHEUR !
Écrire sur le bonheur : laissons faire les spécialistes
« On ne peut pas écrire un texte valable sur le bonheur. Une phrase, un aphorisme, un fragment, oui, mais rien au-delà. La vérité de la douleur, tout le monde la connaît. La vérité du bonheur est invérifiable, elle est labile. La fin de la douleur, on la confond parfois avec une forme acceptable du bonheur. Il est également entendu que la tentation est fréquente de confondre le plaisir et le bonheur. Le bonheur serait donc un plaisir rare avec ajout de plénitude. Bonheur du drogué (listons les drogues et nous les aurons nos neuf mille signes). Bonheur de l’amoureux ou de la midinette. Piège de la mièvrerie. Impasses des niaiseries. Le fameux tour de passe-passe qui nous engouffre dans la pluie des superlatifs. Suffit de reprendre un peu de drogue ou de trouver un partenaire sexuel capable de transformer le plomb en foutre ou en cyprine. Qu’il pleuve et le bonheur suivra. Dans la nuit la plus noire, il y aura toujours un crétin pour montrer du doigt l’arc-en-ciel pour crier son bonheur d’être en vie et d’en croquer de cette vie délicieuse, dans cet instant fragile et fantasmé où tout est réconcilié. Le premier baiser : du bonheur. La baignade sur une plage de Vendée : du bonheur. Le chien qui s’ébroue tout mouillé : du bonheur. Le divorce par… »

DISSONANCES #28 | AILLEURS
Kerouac go home

« Je ne traverserai pas la rue, je m’y refuse. Des jeunes pourraient mettre des drogues dans mon Yop. Je n’y tiens pas. Nul besoin de vérifier que je suis bien du bon côté. Cela fait suffisamment longtemps que je suis heureux d’habiter là où je suis et de n’en pas bouger. Qu’on ne m’accuse pas d’un manque de curiosité ou d’une quelconque fatigue. Du salon à la chambre et de la cuisine à la salle de bains, je marche d’un pas léger dans mes chaussons chromés. À l’occasion, j’entrouvre même une fenêtre et je peux y passer la tête et regarder dehors. Le dehors ne m’attire pas, mais je ne nie pas son existence. On ne se battra pas vous et moi pour cet ailleurs. Libre à vous d’y faire ce que vous voulez et d’y être assassiné si tel est votre désir. J’appuie ma détermination du poids de tout mon corps. Je ne… »

DISSONANCES #24 | LE MAL
Planches ultimes

« Proie des déclinaisons vitriolées / Déroule la langue à l’aide d’un ouvre-boîte à sardines / Les murs lépreux s’élèvent plus vite que les coulemelles grises / Un analphabète avec toute sa temporalité panoptique et la douce musique métallique / Soixante millions d’esclaves appuient sur un bouton / L’altérité brûle les départs et actionne la manette des génocides orange / Un homme seul dans un métro vide qui cogne contre les fenêtres. La psychose nourrit à la petite cuillère la convivialité / Affine le propos si Le Mal est une thématique trop large pour se loger dans une thèse de huit cents pages / Aplatir la sensation jusqu’à ce qu’elle crache son jus / Retrouvons-nous par hasard cette nuit dans une scierie désaffectée / Les éradications têtes en bas alignées m’évoquent des chauves-souris boursouflées / Immobiliser ton corps de rêve armé d’un sac de ciment / Par ennui ou par vice / On se chamaille jusqu’à ce que le plasma beurre nos tartines / La vindicte veut t’embrasser sous son étau / Un verset décolle la rétine du cantonnier / Prévoir les compresses et les mois de… »

DISSONANCES #22 | RITUELS
Cahier des charges

« Note 1 : Pour la formule d’accueil, quand vous aurez sonné et qu’il ouvrira, dites « Olivier, c’est le cadeau de Trente millions d’amis ». Evitez toutes remarques sur sa chambre et ses posters d’animaux (c’est son jardin secret). Quand il revient du C.A.T., Olivier se lave et passe un survêtement. Ensuite, il est plus détendu. Vous vous assurerez qu’il a bien eu le temps de prendre sa douche et d’enfiler son Adidas® noir à bandes blanches.
1. Dire à Olivier : c’est toi le plus beau. 2. Préciser que sa maman a donné son accord pour le cadeau surprise. 3. Lui demander son autorisation pour caresser sa peau. 4. Le déshabiller entièrement. 5. S’extasier sur la beauté de son corps (faire des comparaisons avec un panda). 6. Prononcer la phrase : Aujourd’hui, c’est le jour de l’amour. 7. Caresser son torse avec un geste circulaire. 8. Ne jamais toucher ses cheveux. 9. Ne pas frotter son corps contre le sien. 10. Surtout pas de bisous. 11. Rester habillée. 12. Donner des coups de langue sous ses testicules. 13. Dès que l’... »