DURAND Delphine | Connaissance de l’ombre

Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Connaissance de l’ombre de Delphine DURAND
DISSONANCES #36

Cette jeune poétesse érudite, fidèle à la revue Apulée initiée par Hubert Haddad à qui elle dédie ce premier recueil, est férue de kabbale et de mystique soufie, hantée par William Blake, Dante et Ibn Arabi. Elle est de ces voyantes qui explorent, pénètrent en leur tombeau les corps et les psychés en souffrance, à travers une langue foudroyante, secouée de cauchemars d’une beauté redoutable. Emporté dans un torrent de visions apocalyptiques découpées au scalpel, le lecteur incorpore «  la terre » de Yeats, «  l’argile brûlant » d’Artaud, les «  mains décharnées » de Garcia Lorca, les « ventres collés l‘un sur l‘autre comme des feuilles » de Trakl et de sa sœur, « cette voix de lave et de brume qui nombre les mythologies mortes » des Maori. Le vers partout halète, suffoque, jouit de chanter comme de faire chanter les morts. «  Chaque poème est une tentative de suicide » pour exhumer 61 figures de poètes, d’artistes, de peuples broyés par des destins tragiques. Cette migration dantesque par le feu de la langue ressource notre interrogation sur la place de la poésie aujourd’hui, si souvent narcissique, décorative, anecdotique ou absconse. « La nuit est cette lumière vaincue / Dans le fragile squelette du poème » lit-on pour John Donne, obsédé par la mort et pour Giovanni di Paolo, illustrateur de Dante, «  Une gangrène de pétales / A rongé les doigts / Aux lances corrosives / Qui ne mènent qu’à des mâchoires d’ânes ». Escortés de ténébreux fragments peints par Serge Kantorowicz, lambeaux de chair palpitants arrachés aux morts, ces poèmes sont de ceux, inépuisables, dont la magie électrise encore quand on a cessé de lire.

éd. le Réalgar, 2019
210 page
22 €

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