DENIEL-LAURENT Bruno | Éloge des phénomènes

Coup-de-coeur de Jean-Marc FLAPP pour Éloge des phénomènes de Bruno DENIEL-LAURENT
DISSONANCES #30

C’est sur le rayonnant sourire de deux jeunes femmes heureuses que s’ouvre cet essai. L’une est française et l’autre khmère, elles « ne se connaissent pas et ne se rencontreront probablement jamais. Mais l’une et l’autre possèdent un chromosome surnuméraire, malicieusement accroché à la vingt-et-unième paire » : toutes deux donc mongoliennes et à ce titre «  phénomènes » même si de par le monde leurs semblables et elles sont intégrés au point – adultes – de travailler… et même se prostituer – la scène est saisissante – ou écrire une poésie qui est « comme un dieu / Qui épelle mon visage / Et qui enfonce le clou dans un puits » (ce qui vaut bien en effet (j’ai bien ri) tout l’œuvre de Grand Corps Malade et Perret réunis). Mais il y a leurs têtes (impossibles à ne pas voir), la déficience mentale, une santé fragile : un côté boulet donc. Et tout le poids social. D’où ce constat qu’en France « 96 % des fœtus trisomiques détectés sont désormais supprimés avec l’accord plus ou moins contraint des familles et la complicité de l’institution hospitalière. » puis une réflexion extrêmement pertinente (et brillamment écrite) sur les raisons de ça : citant abondamment, mettant en relation, Bruno DENIEL-LAURENT démontre la logique (historique, politique) d’un eugénisme actuel, occidental, d’état, pas tellement éloigné niveau motivations (délire de pureté, souci d’économie) du projet nazi (Aktion T4) d’élimination des handicapés – juste un peu plus moderne, transhumaniste, cool, et gonflé aux hormones de la technologie. Éloge donc ? Sans doute… mais aussi avertissement : « Voulons-nous à ce point vivre à Gattaca ? » et avec celle-ci tout un tas d’autres questions que cette dénonciation nous pose forcément. Un très bel essai donc.

éd. Max Milo, 2014
60 pages
9,90 euros