CHOMARAT Luc | Un petit chef d’oeuvre de littérature

Coup-de-cœur d’Alban LÉCUYER pour Un petit chef d’œuvre de littérature de Luc CHOMARAT
DISSONANCES #36

« Au-dehors Paris devenait une ville indifférenciée, avec des H&M, des McDo, des Zara, un peu tout ce qu’on pouvait trouver à Venise, par exemple. Il était devenu difficile d’écrire sur les villes, ou sur les femmes.  » C’est un badinage habile sur les niveaux de langage, où les sentences d’un barman de TGV («  La littérature, c’était la force de l’invisible ») s’encastrent dans l’indifférence d’un Rastignac en surchauffe, trop occupé à mater « deux petites nanas de l’autre côté de la voiture-bar ». C’est la mise en abîme d’un livre auteur de lui-même et dont le titre, Un petit chef-d’œuvre de littérature, provoque une série de malentendus qui pourraient lui faire perdre la maîtrise de sa carrière littéraire, donc de son existence : « – C’est un peu facile. / – Quoi donc ? / – D’appeler ça Un petit chef-d’œuvre. / C’était un ami critique littéraire qui parlait. / En fait, ce n’était pas vraiment un ami. / C’était plutôt un critique littéraire. »
Luc Chomarat se joue ici de notre rapport fantasmagorique à l’œuvre, à la figure de l’écrivain – tour à tour auteur, personnage ou archétype social -, à l’acte d’écriture et à ce qu’il en coûte de refuser des mots pour en accueillir d’autres. Sans avoir l’air d’y toucher, il se place à l’endroit précis d’où il pourra joyeusement torpiller les styles, les conventions du milieu de l’édition et les allégories standardisées (le Prestige de l’écrivain, la Magie des livres, la Postérité) pour mieux développer un art millimétré de l’ellipse et de la concision : «  L’appartement était encombré d’une fille en nuisette qu’il ne connaissait pas, une brune qui ressemblait à un gif pornographique, même sans rien faire. »

éd. Marest, 2018
138 pages
9 €