AZALBERT Nicolas & CARRERA Eduardo : L’Argentine malgré tout

Coup-de-coeur d’Alban LÉCUYER pour L’Argentine malgré tout de Nicolas AZALBERT Eduardo CARRERA
DISSONANCES #34

Une adolescente en robe d’été dort à plat ventre sur un lit pas défait, la lumière du jour occupe les murs vides ; on devine les rêves chancelants d’une sieste aux heures moites de l’après-midi. Format carré, immobile, elle ne se réveillera pas tout de suite et dans ce corps désirable et à l’abandon on reconnaît l’Argentine épuisée par un début de siècle en crise. La mise en regard des photographies d’Eduardo Carrera et des textes de Nicolas Azalbert nous raconte les rêves et les douleurs d’une jeunesse politique. « Cher Christian, Je me réjouis de te revoir même si cette perspective n’est pas dépourvue de craintes. Crainte de me laisser emporter par tes explorations des abîmes, crainte qu’on se lasse, crainte qu’on se déçoive. Si tu es un chemin, une transmission, une intelligence du monde, une éthique, je ne veux pas de l’anéantissement, des chiens errants, jouer pour perdre, jouir de l’échec et de l’explosion finale. »
Lettre à un amant, poème, nouvelle, critique cinématographique, extraits épars comme les pensées inconstruites naissant du souvenir d’un lieu ou d’une rencontre. Ici, l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB argentin entre 1976 et 2002 dialogue avec l’image d’un parc d’attraction à l’abandon et une photographie prise au téléphone portable lors d’une tentative d’occupation du Palais du Gouvernement. Plus loin, l’évolution du taux de chômage éclaire différemment la chambre de la jeune fille. On comprend alors que l’intelligence du livre réside aussi dans la liberté du lecteur d’y tracer ses propres itinéraires, et de parcourir avec délectation les formes captives de ce cadavre exquis lumineux.

éd. Warm, 2017
64 pages
13 €