LE MEN Yvon | En fin de droits

Coup-de-coeur d’Isabelle GUILLOTEAU pour En fin de droits d’Yvon LE MEN
DISSONANCES #27

en fin de

Yvon Le Men, poète troubadour breton, apprend un jour qu’il vient d’être radié du régime des intermittents du spectacle et doit rembourser des années d’indemnités : «  Presque quarante ans de vaches maigres, vingt ans de tranquillité ponctués d’inquiétudes dues à la vie d’artiste, et soudain, comme un coup de foudre qui ravage ta maison. C’est ta vie qui jusqu’au retour de la justice tient à nouveau à un fil. »  Stupeur, incompréhension, colère : « ils m’accusent de voler dans les caisses / du chômage / les caisses / des maçons / des plombiers / … des couvreurs / perchés sous les étoiles / de tous ces hommes / fatigués avant l’heure / qui ont bâti la maison de mes poèmes. »
Parce que la langue administrative ne peut dire la détresse, ce texte va naître de la difficulté à écrire une lettre de recours gracieux. Des nuits durant, le poète va alors se laisser emporter par le flux, «  en vers et contre tout », pour lancer un cri de colère douce qui emprunte au slam, un appel au secours et à l’humanité.
Tendre quand il souhaite l’amour à la conseillère silencieuse, drôle quand avec Villon il interpelle les gens de Pôle Emploi (« Frères humains, n’ayez les cœurs contre nous endurcis »), poignant quand il s’empare de Verlaine pour implorer l’écoute (« Ne me déchirez pas avec vos deux mains blanches  »), ce texte est celui d’un poète-citoyen qui pose un regard pur et incrédule, d’enfant blessé, comme le soulignent en contrechamp les dessins de Pef, sur une institution déshumanisée. Et tel Ulysse face au cyclope, Le Men scande le mot « personne », hanté qu’il est par le silence opposé à ceux qui n’ont rien.

éd. Bruno Doucey, 2014
80 pages
12 euros