FOURVEL Christophe | La dernière fois où j’ai eu un corps

Coup-de-coeur d’Alban LÉCUYER pour La dernière fois où j’ai eu un corps de Christophe FOURVEL
DISSONANCES #21

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La dernière fois où elle a eu un corps, la jeune Albanaise qui raconte, c’était avant. Avant son oncle, le viol presque oublié de ses 12 ans. Avant les camions qui l’emmènent en France, et dont les chauffeurs se remboursent des kilomètres parcourus en stationnant entre ses jambes. Dès lors, l’objet remplace le verbe de l’héroïne, ce qu’elle fait et ce qu’on lui fait, pour entrer en résonnance avec la chosification d’un corps vendu, empaqueté, livré à l’autre bout de l’Europe. Des mots pénètrent par effraction à l’intérieur du récit et usurpent l’identité des autres, abusent de l’égarement langagier de la jeune fille pour figurer l’intrusion permanente de corps étrangers dans le sien. À force on s’y habitue, comme elle, et ça ressemble à la fin de l’humanité. Le style épouse les contours du fond, comme autant de carcasses répugnantes avachies sur l’adolescente. Car c’est là, dans cet interstice asphyxié entre deux ventres, que Christophe Fourvel séquestre le lecteur à la merci du stress, de la puanteur des maisons d’abattage, la bouche « remplie à ras bord du silence que fait la peur ».

éd. du Chemin de Fer, 2011
65 pages
12 euros